Le chasseur et le pourchassé

Le chasseur et le pourchassé

26 janvier 2015 Non Par Naginder Sehmi

Amicale des Anciens de l’OMM, Bulletin 7, Novembre 2007

Le chasseur et le pourchassé

Par Naginder Sehmi

En attendant la deuxième partie de l’histoire de Rudi Czelnaï, je vous rapporte ci-après la suite du tchat de l’Amicale, mais sous une forme très condensée.

Sushel Unninayar disait donc : « J’attends que Rudi nous raconte son histoire dans sa totalité. Ca devrait être très intéressant et je ne manquerai pas d’être très attentif aux détails. J’ai cependant une toute petite remarque. Rudi n’a jamais risqué de se faire manger par une bête sauvage, fût ce un lion ! Pourquoi ? Parce que la plupart des animaux n’aiment pas le goût de l’humain. » Rudi répond : « Tu as raison. Maintenant que tu me le dis, je sais en effet que les lions ne mangent pas d’humains avec délectation…. Mais mon histoire ne porte pas vraiment sur les lions. Ils ne sont ici que des seconds fifres bruyants mais sans importance. Comme ‘Le Cocktail’ de T.S. Elliot qui commence ainsi : « Julia, il n’y avait pas de tigres, c’est là toute l’histoire ! – Mais alors, qu’est-ce que vous faisiez en haut de l’arbre, vous et le Colonel ? »

On était dimanche, le 6 mai 2007. Je me suis rapidement branché sur Internet. Le mot  » rapidement  » s’applique à mon état d’esprit ; on ne peut pas demander à un ordinateur de se dépêcher ! J’ai fini par écrire à Rudi. « Je viens de rentrer du Marathon de Genève. J’ai couru la moitié du marathon en dix minutes de plus que l’année dernière. Puis j’ai ouvert ma boîte aux lettres et j’ai lu ta réponse, Sushel. Si un lion avait été a mes trousses, je peux t’assurer que j’aurais couru beaucoup plus vite ; même que j’aurais sans doute battu un record. Ca voudrait dire que les lions savent courir des demi- marathons ? de toute façon, ça n’aurait pas marché, parce que les lions sont paresseux et il y avait tant d’autres morceaux plus juteux à reluquer ! »

Sushel, qui semble comprendre le comportement de l’humain et de l’animal, fût prompt à réagir à mon mail.

« Tu as raison. Malgré l’attribution de pouvoirs mythiques et mystiques aux lions (sur des drapeaux nationaux), ce sont des êtres paresseux … D’un autre côté, tu n’aurais quandmême pas été l’objet de leur attention. Rappelle-toi, ils s’efforcent toujours d’économiser leur énergie. Ca peut s’interpréter comme de la paresse, dans le monde des humains. Avec ta capacité à courir les marathons que nous (les autres) n’avons pas, les lions auraient certainement choisi une autre cible. Ils ne t’auraient pas inquiété. Sans aucun doute, si tu avais été pourchassé par un lion, tu aurais battu tous les records de cette course. Je pense que tu aurais battu un lion au poteau, mais probablement pas une lionne, qui sait user de stratégies variables. »

Me voyant pourchassé par une lionne, je me remémorai la fin de ma course et la manière dont je m’en suis sorti. Je ne résiste pas à vous décrire ma situation précaire.

 » Prémonition ? Je ne trouve pas d’autre mot, sinon ‘postmonition’. Au 14ème kilomètre, je peinais à traverser le Jardin Anglais lorsqu’une fille ou une jeune femme vint se mettre à ma hauteur. Nous avons fait du yo-yo pendant un kilomètre, puis elle baissa le rythme. J’ai dépassé un certain nombre de coureurs, mais beaucoup plus m’ont dépassé. Il faisait chaud et j’ai cherché les endroits ombragés. Mais les côtés des routes sont légèrement en pentes. Pour ménager mes genoux, je cherchais des surfaces plates, en empruntant souvent les trottoirs. Chaque fois que je mettais un peu de vitesse, je sentais quelqu’un qui me suivait – silencieux, à pas feutrés. Je n’osais pas me retourner de peur de perdre ma concentration ; une proie qui essaie de s’échapper aurait été plus vigilante.

Notre numéro de dossard portait également notre nom, pour que le public puisse nous encourager nommément. Le nom que j’entendais crier après le mien était toujours le même : Muriel. Dans les virages du Jardin de la Perle du Lac, je me rendis compte que la « lionne  » me pourchassait depuis une heure, prête à m’achever dans les derniers mètres… Pour échapper à ce sort j’ai « accéléré » jusqu’à l’arrivée et elle a terminé à quelques enjambées derrière moi. Sur la liste elle figure juste après moi. Je me retournai pour lui faire face. ‘Vous êtes mon ange gardien, lui dis-je. Merci de m’avoir suivi de près’. Elle me répondit : ‘Je pensais que le prendriez peut-être mal si je vous collais de trop. J’avais peur que vous ne vous arrêtiez dans la montée sous le pont et ça m’aurait tuée. Le chasseur et le pourchassé, imaginez : on est tombé dans les bras l’un de l’autre, avec une ferveur débordante. Deux inconnus. Ca arrive en sport (seulement). Genève n’est pas le Masaï Mara.

 » Naginder, cher ami- m’a écrit Arthur [Askew] – J’aime ton récit et son apogée, et je le dis en toute sincérité. Mais, sur une note un peu moins érieuse, et en tant que non coureur, j’aimerais quelque éclaircissement sur ce que tu entends par  » Nous avons fait du yo-yo pendant un kilomètre puis elle a baissé le rythme ».

Chaser

Naginder Sehmi chassé par « une lionne »

Ceux qui font des courses régulièrement arrivent à garder un rythme constant dans les montées ou les descentes. Moi, je ralentis généralement dans une montée et j’ai du mal, physiquement, à me retenir dans une descente. C’est ce que j’ai essayé d’expliquer à Arthur. Vous êtes comme un yo-yo’ – c’est la remarque que m’avait fait un coureur lors d’une course précédente, où je le dépassais à la descente et lui me dépassait à la montée. C’était dans la région de Bernex où ça monte et ça descend. Je suis certain que vous connaissez le yo-yo qui est un jouet formé de deux disques accolés l’un à l’autre, rattachés à une ficelle, que l’on fait monter et descendre. Les experts peuvent la lancer dans n’importe quelle direction ! Sushel s’est empressé de venir à mon secours pour décrire la dynamique du yo-yo. « Yo-yo signifie que notre Cher Naginder ne pouvait pas garder la même vitesse dans la montée et dans la descente. C’est une affaire de savoir profiter des forces de gravitation… « 

Sushel se mit dans les chaussures de quelqu’un qui se faisait pourchasser à Genève et m’écrivit :  » Quel étonnant récit. J’ai beaucoup aimé suivre les essais et les tribulations de LA  » course « . Je suis également très impressionné par tes aptitudes de coureur. Il faudrait que tu me donnes quelques conseils là-dessus. Mais revenons-en au coeur du sujet : pourchassé par une lionne au km 14 ? J’aurais pu arriver jusque-là , moi aussi, si j’avais été pourchassé/suivi par les pas feutrés que tu décris. Mais , nous (tous les nous du monde) te permettons d’user de quelque licence poétique dans le cas présent. Mais, ce n’était pas une lionne du Masaï Mara. Là il y aurait eu une chasse stratégique à multiples facettes avec non pas une mais plusieurs lionnes – toutes ayant juré ta perte. La (vraie) fin de la chasse aurait été très courte, et tu ne serais pas là à écrire ce courriel. Tu m’en vois très heureux, car sinon qui d’autre nous décrirait une course de marathon dans ces termes, pour nous (le reste du monde) qui ne sait même plus ce que c’est que de courir.

Ceux qui chassent, ceux qui sont pourchassés ? Passionnant. Embrassade torride ; deux inconnus ? Je n’ose pas poser de question.

PS. Un sage conseil : N’essaye pas ça en Afrique. Si tu entends des pas feutrés derrière toi, monte dans un arbre aussi vite que tu peux. Tu ne te sauveras pas en courant. Mais il n’y a pas d’arbres ? Et en plus tu es entraîné à courir, pas à grimper dans les arbres. Mais, à défaut d’arbres, quelle aurait été alors ta stratégie ? NOUS (tous les nous éparpillés sur ce globe) ne pouvons retenir notre curiosité.  » Je devenais impatient de lire le reste de l’histoire de Rudi. Je lui ai donc envoyé un rappel en termes poli au nom de tous les lecteurs.  (Trad. Ilse Bourgain)